Chefs étoilés d’Hong Kong – Nicolas Boutin, Exécutive Chef chez Epure

3 Avril 2019


Chefs étoilés d’Hong Kong – Nicolas Boutin, Exécutive Chef chez Epure
par Aude Camus 
 
Après Guillaume Galliot de Caprice, je continue la série des interviews de Chefs étoilés vivant à Hong Kong en embarquant sur le Star Ferry et traversant la baie pour rencontrer Nicolas Boutin dans la cuisine d’Epure (1 étoile Michelin depuis 2016) à Harbour City. 
 
Pour la petite anecdote, Epure est un des premiers restaurants gastronomiques que j’ai découvert à Hong Kong (le restaurant n’était pas encore étoilé quand je suis arrivée ici en 2015) mais cela commençait à remonter et il était temps que je rafraichisse ma mémoire et dégaine ma fourchette en même temps que ma plume (ou pour être plus proche de la vérité, mais c’est moins poétique, mon Iphone avec sa fonction mémo vocal). 
 
C’est donc un matin de semaine avant le service que j’ai partagé un café avec le Chef Nicolas Boutin découvrant son parcours des étoilés Français de Province dans les années 80/90 à Hong Kong en passant par l’Irlande, les iles Grenadines ou encore Bora Bora. Une belle aventure culinaire pour un petit gars de Poitiers qui s’était lancé dans un apprentissage cuisine un peu par dépit et beaucoup par hasard. 
 
Et c’est quelques jours plus tard que je suis retournée chez Epure pour un lunch gourmand placé sous le signe de la gastronomie Française en version épurée (d’où le nom). Nicolas m’avait dit à la fin de notre interview « tu ne peux pas publier l’article sans revenir manger chez moi avant. Pour bien parler de moi il faut aussi bien connaître ma cuisine ». Phrase qui n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Consciencieuse et menant mon travail d’investigation jusqu’au bout, j’ai donc mis un point d’honneur à tester un maximum de plats. 
 
 
Bonjour Nicolas ! Merci de prendre le temps de me rencontrer ! Tu peux m’en dire un peu plus sur toi et ton parcours ? Comment es-tu arrivé ici chez Epure ?
Il faut remonter à quelques années en arrière ! J’espère que tu as du temps ! Je peux te tutoyer hein ? L’école ça ne fonctionnait pas vraiment pour moi. Je ne supportais pas l’environnement, moi il me faut du terrain. Le seul truc dont j’avais envie à l’époque c’était de rentrer de l’école et de mater les cartoons. Avant le collège je ne m’en sortais pas trop mal mais arrivé au collège ça a commencé à devenir compliqué. 
 
Pourtant, il fallait bien que je fasse quelque chose. Et à l’époque mon père faisait des petites réparations chez un charcutier-traiteur qu’il connaissait bien donc je me suis retrouvé chez lui pour 2 ans de préapprentissage.
 
Et ça t’a plu ?
Pas du tout ! C’était une horreur. C’était une époque où on en chiait dans ce genre de métier et le patron c’était vraiment le patron à l’ancienne. Mais j’ai tenu le coup, je m’étais dit qu’il fallait que j’aille au bout. Je pense aussi que mon humour m’a permis de pas trop mal m’en sortir. 
Après ces 2 ans, je me retrouve en apprentissage pour 2 ans aussi. Un peu mieux mais pas la folie non plus, l’impression de ne pas vraiment progresser. Mais j’ai fait mon petit bout de chemin : ma première année j’ai passé un concours où j’ai fini deuxième de mon centre de formation puis la deuxième année j’ai finis premier de ma promo CAP. 
 
J’ai eu mon premier travail à Poitiers chez ce qu’on appelait à l’époque un Jeune Restaurateur de France dans un restaurant qui s’appelait Le Maxime. Un petit restaurant, un peu chic à l’époque. Ça met tout de suite dans l’ambiance parce qu’on doit tout faire : nettoyer la friteuse, faire la plonge, préparer les entrées, passer derrière le bar le soir pour servir des verres …  
Entre temps je pars faire l’armée, dans la marine, et quand je reviens le patron du restaurant me propose de m’aider à trouver une place dans un étoilé comme je le désirais. Il avait une grande gueule, il a pris le téléphone et il y est allé au culot. Un des premiers qu’il contacte c’est Troisgros, Michel à l’époque (ndlr : troisième génération de la famille Troisgros, aujourd’hui son fil Léo est aussi entré en scène) qui dit ok. Le problème c’est que je ne pouvais pas rentrer immédiatement chez Troisgros et je devais d’abord me former pendant 2 ans. Mais j’avais cette promesse d’embauche. Donc mon ancien patron appelle d’autres restaurateurs dont Jacques Lameloise (ndlr : 3 étoiles Michelin à Chagny en Bourgogne) et voilà je commence chez lui en Août 1989 après avoir fini l’armée en Février de la même année. 
 
Ce n’était pas facile de rentrer dans une équipe comme cela où tout le monde se regarde, se juge. La mentalité en cuisine n’était pas facile et encore, je pense que c’était moins la compétition que dans un étoilé dans une grande ville. Il faut quelques semaines voire quelques mois pour se faire une place dans une cuisine, surtout avec ceux qui sont là depuis un moment. Mais j’y suis parvenu et je suis resté là 1 an et demi. J’avais commencé Commis de Cuisine pour finir Chef de Partie ce qui était une très belle évolution. Et puis j’ai fait un peu de tout, j’ai commencé aux légumes puis j’ai fait les viandes, j’ai même fait de la pâtisserie alors qu’à la base je n’y connaissais rien. 1 an et demi à l’époque c’était beaucoup et de mon côté j’avais envie de voir autre chose or mon offre chez Troisgros avait été repoussée d’1 an ce qui me laissait le temps d’aller ailleurs. Et toujours grâce à mon tout premier patron, je trouve une place chez Dominique Toulousy dans son restaurant 2 étoiles Les Jardins de L’Opéraà Toulouse. C’est là que j’ai rencontré le second de cuisine de l’époque, Michel Portos (ndlr : aujourd’hui chef étoilé Michelin) avec qui j’ai tout de suite eu des atomes crochus et qui est maintenant un ami de 25 ans. J’ai fait mon année là-bas puis est venu le temps de commencer chez Troisgros à Roanne où je redémarre Commis de Cuisine mais j’étais si content d’y être que j’aurais était content même à la plonge. 
 
Je me rappellerais toujours mon premier jour. Je pense qu’ils s’étaient trompés dans mes dates et je suis donc arrivé là-bas 2 jours avant le reste de l’équipe (ndlr : le restaurant était à l’époque fermé pendant l’hiver et fonctionnait à la saison). J’arrive dans la cuisine où Pierre Troisgros et Michel Troisgros sont en tournage pour un reportage et comme j’étais là je me suis aussi retrouvé sur ce reportage.
1 mois après avoir commencé comme Commis de Cuisine aux poissons froids je prends la place de Chef de Partie où je fais 3-4 mois puis je passe au poste poissons et entrées chaudes. Je passe par différents postes et après environ 1 an passé là-bas on me propose de remplacer le second de cuisine qui partait. Ma réaction ? Non ! À l’époque il n’y avait pas de Chef de Cuisine chez Troisgros et le Second de Cuisine était donc celui qui était directement en-dessous de Michel Troisgros. Moi j’avais 24 ans à l’époque, j’étais fatigué, j’avais fait beaucoup de chose en 2 ans et je n’avais pas eu le temps de prendre du recul, je n’étais pas prêt. Ils m’ont demandé plusieurs fois et puis je finis par accepter en me disant que je fais juste la fin de la saison sachant que le Second partait en Novembre et que le restaurant fermait en Février. Là, pendant ces quelques mois j’ai eu la chance de faire des tournées à l’étranger : le Québec, un peu les États-Unis … 3-4 trucs mais pour moi c’était énorme. 
 
En Février donc je termine chez Troisgros (et c’est mon ami Michel Portos qui a repris le poste). Je rentre dans le Poitou, j’aide un copain qui du coup m’invite à manger chez Jean Bardet un 2 étoiles Michelin à l’époque. On parle avec le Chef à la fin du service et quelques jours après celui-ci m’appelle pour me proposer une place de Second. 
Ça a été compliqué chez Jean Bardet. J’arrivais de chez Troisgros, une maison qui est très carrée, hyper organisée et là c’était l’opposé complet. L’environnement était assez malsain. Heureusement j’étais à Tours donc pas trop loin de chez moi. J’ai donné donné et à un moment j’ai bloqué, j’étais fatigué de donner pour ne rien recevoir. J’ai tenu 1 an là-bas puis je suis partie faire une saison dans le Sud de la France et là ça a été un peu le déclic : bon bah ça y est, j’ai fait une bonne partie de la France, j’ai compris ce qu’était un 3 étoiles Michelin. Et là je me suis dit « je veux apprendre l’Anglais ». La seule façon c’était de partir. Mais c’était aussi accepter de rétrograder ma place puisque comme je ne parlais pas Anglais je ne pouvais pas accéder à un poste de Chef à l’étranger. L’idée était de trouver un endroit où je puisse me sentir bien pour apprendre sur la longueur. L’Angleterre ne me bottait pas du tout et l’Irlande se développait pas mal à l’époque (1996) donc une copine Irlandaise m’a aidé à trouver une place dans un restaurant Français à Dublin : cuisine très traditionnelle, on était 4 en cuisine et encore quand le plongeur était là s’il n’avait pas pris une cuite au pub … Bref, j’ai débarqué à Dublin. L’objectif c’était vraiment de focus sur l’Anglais donc j’ai mis un peu de côté la cuisine sur laquelle je m’étais déjà bien perfectionné. J’ai passé 3 ans dans ce petit restaurant ce qui est énorme ! Je ne sais même pas comment j’ai tenu 3 ans. Puis avec un copain avec lequel j’avais sympathisé on s’est lancé dans le projet d’ouvrir un petit magasin pour importer des produits Français : vins, fromages … Notre idée c’était de faire un petit Fauchon. On trouve ce petit magasin et on obtient des financements de la banque pour commencer notre business. C’était vraiment artisanal, on commençait à 4h du matin, moi j’étais en boutique donc j’ai appris à apprécier être au contact de la clientèle et cela m’a aussi permis de développer encore mon Anglais. Et puis au bout de presque 6 ans en Irlande j’ai eu envie de retourner en cuisine. 
 
Entre temps mon ami Michel Portos avait fait son parcours, il avait ouvert son restaurant à Perpignan et eu sa première étoile et il était en train de reprendre un bel établissement à Bordeaux qui s’appelait Le Saint-James. J’ai eu une place là-bas en 2002 et j’y suis resté 2 ans. J’étais le bras droit de Michel Portos ce qui m’a permis de faire un peu de tout. 
 
Et puis j’ai voulu continuer à me former, apprendre un peu tout ce qui était pur management. Et j’ai obtenu, via mon ami Richard Ekkebus (ndlr : aujourd’hui Chef du restaurant Amber à Hong Kong) un poste aux iles Grenadines pour le Raffle. Puis Richard me contacte de nouveau 1 an après pour me proposer un poste de second auprès de lui à Hong Kong au Landmark Mandarin Oriental. Je fais donc 2 ans à Hong Kong puis je suis la GM de l’hôtel à Boston pour avoir mon premier poste d’Executive Chef. 2 an et demi un peu compliqués avant qu ‘un poste aux Maldives se présente pour le restaurant Ithaa, le premier restaurant sous l’eau. Je bouge ensuite au Four Seasons de Bora Bora. Toutes ses expériences m’ont fait réaliser que bosser avec les groupes d’hôtels était compliqué et que j’avais fait le tour. 
 
J’avais envie de sortir du système hôtelier et de revenir sur Hong Kong que j’avais adoré la première fois. L’envie aussi de retravailler des vrais produits. 
Je suis arrivé en tant qu’Executive Chef pour le groupe Gourmet Dining Groupqui venait de racheter la franchise Dalloyau. Ce n’était pas du tout prévu à la base de faire Epure. On n’avait pas forcément vraiment réfléchi aux développements du groupe. Et puis le restaurant est venu. Dès le début j’ai voulu faire une cuisine Française rafraichie. Ce que j’aime c’est que les gens se rappellent ce qu’ils ont mangé parce qu’il y a 2-3 éléments dans l’assiette alors que la mode, je trouve, dans beaucoup d’autres restaurants est d’en mettre beaucoup dans l’assiette. 
 
Les premiers plats que j’ai travaillés c’est la soupe de champignons, que j’avais découverte à Roanne chez Troisgros, et le Vol-au-Vent que j’ai voulu moderniser. 
 
Avec le temps, plutôt que de m’inspirer des recettes d’autres Chefs ou de bouquiner des livres, j’essaye de creuser dans chaque ingrédient et de retrouver ses racines pour imaginer un plat qui a du sens. Par exemple, vous saviez que la poire est un produit Chinois à la base ? Je veux acheter des bons produits mais je veux aussi comprendre mes produits. Chaque fois qu’un fournisseur vient je veux le rencontrer. 
 
L’étoile Michelin, c’est quelque chose que vous avez toujours eu en tête ? 
Non, ça n’a jamais été un objectif absolu. L’époque où je travaillais dans ces restaurants étoilés c’était le tout début de ma carrière et à cette époque je ne me voyais jamais arriver à ce niveau-là. Et entre temps ma vie avait pas mal changé. Je n’imaginais pas forcément retrouver une vraie cuisine, des vrais produits. Donc en fait je ne me posais juste pas la question de l’étoile. 
Et une fois de plus, quand je suis arrivé ici ce n’était à la base pas pour faire un gastronomique. Epure s’est fait un peu par hasard. 
 
Les choses se sont faites assez naturellement finalement. Le jour où nous avons eu l’étoile j’étais surtout content pour l’équipe. Pour moi c’était surtout important pour les autres. Et puis je m’étais créé une sorte de cocon aussi parce que j’ai reçu deux ans de suite, en 2014 et 2015, les invitations et que je suis allé à la soirée sans recevoir l’étoile. Donc en 2016 je reçois aussi l’invitation mais je n’espère rien. J’ai toujours entendu dire que le Michelin vous appelait pour vous prévenir quand vous obteniez l’étoile mais je n’ai jamais eu d’appel. La seule chose qui m’a mise sur la piste c’est qu’on m’a proposé de participer à une séance photo la veille ou deux jours avant. Mais en même temps je me suis dit « attention, on m’a déjà fait le coup ». 
 
L’étoile ça ne change rien, on continue. Cela n’a pas fait de différence énorme au niveau du business parce que cela faisait déjà 2 ans et demi qu’on avait ouvert et que l’on avait déjà acquis une certaine reconnaissance. 
 
La suite c’est quoi ? 
Continuer à créer des émotions chez les gens qui mangent chez moi ! 










 



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