Conversation gourmande avec la chef étoilée Stéphanie Le Quellec

17 Juin 2019


par Aude Camus 
 
Le mois de Mai est toujours un très joli mois pour la communauté Française à Hong Kong : la culture et la gastronomie sont à l’honneur grâce au French May et son pendant gastronomique Le French GourMay et c’est aussi le mois du, désormais célèbre, Gala de La French Chamber of Commerce et Industry in Hong Kong qui réunit 600 convives pour un diner d’exception imaginé par un chef étoilé Français venu spécialement pour l’occasion. Aux fourneaux pour cette édition 2019 ? Une femme, une première dans l’histoire de ce Gala. Et pas n’importe quelle femme : Stéphanie Le Quellec, gagnante de Top Chef en 2011 et seule chef Française 2 étoiles. Il fallait que je la rencontre ! 
 

Me voilà donc, un matin de jour férié au Shangri-La (pas le choix, Stéphanie repart le soir même), où Stéphanie a officié en tant que guest chef au restaurant Petrus pendant 4 jours, à partager un café avec la chef. L’occasion de discuter gastronomie, télévision, famille, transmission mais aussi plans pour l’avenir alors que Stéphanie a récemment quitté l’hôtel Prince de Galles, où elle officiait depuis 2013, et s’apprête à ouvrir son propre restaurant. 
 


Bonjour Stéphanie. Merci beaucoup de prendre le temps de me rencontrer. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur vous et votre parcours ? Comment vous est venue l’envie de cuisiner ?  

J’ai eu le déclic assez tôt, vers 5-6 ans je pense. Mes jeux d’enfants c’était m’enfermer dans la cuisine de ma grand-mère, faire une pâte à sablés et jouer avec cela comme si c’était de la pâte à modeler : emporte-piècer, ranger dans une boîte, imaginer mes histoires … Très tôt j’ai aimé être en cuisine et m’inventer un monde autour de ça. Et puis, il y avait l’élément gourmandise qui lui aussi était déjà bien ancré en moi. À l’âge de 12 ans, j’ai passé une semaine dans le restaurant d’amis de mes parents, j’ai aussi découvert Rungis et là révélation. Et à 14 ans, quand j’ai eu mon brevet des collèges j’ai eu le courage de dire à ma maman que je ne souhaitais pas continuer jusqu’au bac et que je voulais entrer en école hôtelière. J’ai eu énormément de chance, mes parents ont cru en moi et m’ont fait confiance. Je ne viens pas du tout d’une famille liée à cet univers. Nous sommes des bons vivants, nous avons cette culture du bien manger mais nous ne sommes pas des professionnels. Et il faut aussi remettre ça dans le contexte, il y a 23 ans quand les chefs de cuisine étaient tout sauf des rockstars et qu’il n’y avait quasiment pas de femmes en cuisine. C’était plutôt un métier qu’on faisait quand on ne pouvait pas faire autre chose et moi j’avais les capacités pour faire autre chose. Pourtant mes parents n’ont jamais remis ma passion en question. 
 

Les débuts ont été durs ?
Par vraiment. Je suis rentrée en école hôtelière à 14 ans. J’étais de loin la plus jeune, j’étais entourée de gens de 17-18 ans ce qui m’a fait grandir très rapidement. Sans compter que le métier aussi vous fait grandir : en école hôtelière l’uniforme c’est costume-cravate ou tailleur-jupe. Mais je me suis sentie dans mon univers et j’ai développé une confiance en moi que je n’avais pas forcément avant. D’un seul coup, dans mon univers, je devenais la meilleure et j’étais reconnue pour ça. Pour moi, ça a vraiment été une période super. 
 

Votre premier poste ? 
Le George V (ndlr : où elle entre en 2001), où je reste 4 ans. Là, pour moi, c’est la révélation palace. Je viens d’un milieu modeste, je ne connaissais absolument pas cet univers. Quand, à 14 ans, je me lance dans ce métier, c’est à priori plutôt pour avoir mon petit restaurant de quartier. Je viens d’Enghien-les-Bains et j’imaginais une adresse toute simple où je servirais des plats plutôt classiques. Au George V, je découvre la cuisine gastronomique et l’univers des palaces et je me dis « c’est ça que je veux faire ». 
 

Vous avez commencé le métier quand il n’était pas encore médiatisé. C’est pourtant grâce à une émission de tv, Top Chef en 2011, que vous vous êtes fait connaître du grand public 10 ans après vos débuts en cuisine. Aujourd’hui, tout le monde veut s’inscrire dans ses émissions mais à l’époque, qu’est-ce qui vous a poussé à vous inscrire à la deuxième saison de cette émission ? 
C’est vrai qu’à l’époque, l’émission n’avait pas encore l’aura qu’elle a aujourd’hui. Que cela soit auprès du public, des candidats ou mêmes des jurés. 
 
Honnêtement, l’idée ne vient pas de moi mais de mon beau-père. Je faisais beaucoup de concours de cuisine et en 2010, pour un de mes concours, j’étais en finale pas loin de là où habite ma belle-famille. Mon beau-père me dit « ah encore un concours super. D’ailleurs je n’arrête pas de voir la pub pour le casting de ce concours culinaire à la tv, tu devrais t’inscrire ». Clairement, ce n’était pas du tout dans mes plans, je ne me voyais pas du tout à la tv. Pour être honnête, je n’avais pas forcément une très bonne image de l’émission, sachant qu’à l’époque il n’y avait aucun recul, il n’y avait eu qu’une seule saison. Au final, mon beau-père me parie une bouteille de champagne que je n’ai pas le courage de m’inscrire. Et je le laisse donc m’inscrire, pour gagner cette fameuse bouteille, et sachant très bien que ça n’ira pas plus loin. Sauf que 15 jours plus tard, je reçois un coup de fil « Bonjour Stéphanie, c’est Émilie pour le casting Top Chef ». Et là, forcément on se prend au jeu du casting. Par fierté on aimerait bien être sélectionné, pas forcément faire l’émission mais juste se dire qu’on a été sélectionné. Je suis une joueuse et oui ça m’aurait embêtée de ne pas être retenue. Mais ça ne ça s’est pas passé puisque 15 jours avant le tournage, ils m’appellent pour me dire que je suis dans les 14 candidats. Et là, c’est un peu la panique. Je me suis lancée là-dedans alors que ce n’était même pas mon initiative, je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir, j’étais inscrite au concours du Meilleur Ouvrier de France quelques semaines plus tard … je leur dis que j’ai besoin de réfléchir. J’appelle mon ancien chef, Philippe Jourdin, et je lui dis que je suis perdue et ne sais pas quoi faire. Il m’a encouragée à accepter : « tu as 28 ans, le MOF tu as le temps de le faire et le refaire. La Tv aujourd’hui c’est un média fort et de faire cette émission ça va te faire gagner 10 ans sur ta carrière ». Ça m’a confortée immédiatement. J’y suis allée. Par contre, à partir du moment où j’y étais c’était pour gagner. 
 

Et ces 10 ans de carrière, vous les avez vraiment gagnés grâce à cette émission ?

Oui. Je n’ai pas vraiment de moyen de vérifier cela mais je pense que je ne serais peut-être pas où j’en suis aujourd’hui si je n’avais pas fait cette émission. 
 
Mais c’est aussi à double tranchant. Oui cela vous fait sortir de l’anonymat mais après il faut durer et il faut prouver. Surtout pour moi qui souhaitais continuer à évoluer dans des étoilés Michelin et dans des palaces. Encore une fois, c’était la seconde saison de l’émission et on n’avait pas le recul qu’on a aujourd’hui sur le parcours des participants. Moi en sortant, j’avais la casquette de la nana qui a gagné Top Chef et cela éclipsait complètement mon parcours dans les 2 et 3 étoiles Michelin. Il fallait montrer aux gens que je n’avais pas démarré ma carrière il y a 6 mois. Quand j’ai commencé au Prince de Galles en 2013, beaucoup pensaient que c’était parce que j’avais gagné Top Chef. Et oui, ce poste là je ne l’aurais peut-être pas eu si je n’avais pas fait l’émission mais ce qui m’a permis de performer dans ce poste c’est les 14 ans de carrière que j’avais derrière. 
 

Et très vite, en 2014, la première étoile est arrivée. Un soulagement ?
Oui. Cette première étoile a été très libératoire. Ça a fait taire ceux qui pensaient que ... Ça permet de se recentrer sur son travail. Je me suis dit « ça, c’est fait, maintenant je vais pouvoir me lâcher un peu plus dans ma cuisine ». 
 

La première étoile vous donne-t-elle immédiatement l’envie d’une deuxième étoile ?
L’envie était là même avant l’obtention de la première. En arrivant au Prince de Galles j’avais dit que je souhaitais obtenir 2 étoiles pour La Scène (ndlr : le restaurant gastronomique de l’hôtel). C’est au George V que j’ai vraiment découvert l’univers des étoiles Michelin et que j’ai souhaité faire partie de cet univers.
 
Tout de suite avec une deuxième étoile on voit une différence. Avec la clientèle, parce que dès l’obtention de cette seconde étoile on joue à guichet fermé 1 mois avant et on observe une hausse des réservations de 25-30%. Les tickets moyens augmentent, la clientèle n’est pas tout à fait la même et se lâche plus. Et puis, tout simplement on rentre dans le top 100 des chefs Français.  
 

Et toute cette médiatisation du métier qui existe aujourd’hui via la tv, via les magazines … elle est importante pour vous ?
Évidemment. On est une profession qui a longtemps souffert, les cuisiniers ont été catalogués comme des manuels qui font ce métier parce qu’ils ne peuvent rien faire d’autres mais non. Ce métier c’est un métier de passion aussi. La médiatisation a permis de redonner des lettres de noblesse au métier, de redonner un élan aussi pour remplir les écoles hôtelières. 
 

Vous estimez que vous avez un rôle de transmission ?

Complètement. C’est extrêmement important d’aller dans les écoles, que cela soit pour un échange tout simple ou une masterclass ou encore pour être juré lors d’un concours. Je prends aussi beaucoup d’apprentis dans ma brigade. 
 

Justement, en parlant de votre brigade. Vous avez récemment terminé au Prince de Galles et vous vous apprêtez à ouvrir votre propre maison. Vous pouvez m’en dire un peu plus ?
On ouvre en Octobre au 32 Avenue Matignon dans le 8èmearrondissement. Je déplace en fait La Scène que j’ai créé au Prince de Galles. 
 
Cette maison c’est un vrai projet de vie. Après 15 ans de carrière dans 3 beaux palaces, aujourd’hui j’ai l’envie de revenir à de la restauration pure, d’avoir un chez moi, de raconter mon histoire de manière plus forte avec mes décisions, mes choix, mon équipe. C’est un projet qui est aussi intimement lié à l’arrivée de mon dernier fils. J’ai 3 enfants, 2 ados de 13 et 15 ans et un petit qui va avoir 2 ans. Depuis que mon dernier fils est arrivé, j’ai pris conscience de beaucoup de choses. 
 
Se lancer, bien sûr ça fait peur. J’y suis bien préparée tout de même. Quand on gère une cuisine de palace, on gère 50 personnes, on gère des coûts de nourriture, on gère de la masse salariale, on gère de la profitabilité, on parle beaucoup chiffres. Mais après il y a aussi un cadre, des branches auxquelles se raccrocher. Là, je deviens chef d’entreprise et j’en prends la pleine mesure. On est tout seul. Mais j’ai la chance d’être bien entourée. L’excitation l’emporte sur la peur je crois. Je suis une personne réfléchie mais néanmoins je suis une instinctive et j’avais le sentiment intime que c’était maintenant. 
 

Un rêve d’étoiles pour cette nouvelle adresse ?
Évidemment. J’aimerais pouvoir y accrocher mes 2 étoiles. Les accrocher, les affirmer, les consolider et qui sait peut-être, un jour, y ajouter une troisième étoile. 
 

Représenter la gastronomie Française à l’étranger, comme vous le faites cette semaine, c’est important pour vous ?
Oui. C’est une fierté de participer à l’aura de la cuisine Française à travers le monde. Et au-delà de ça, c’est toujours hyper intéressant pour un cuisinier de voyager, d’aller voir d’autres cultures, d’autres produits, d’autres organisations de cuisines. Par exemple, les cuisines chinoises du Shangri-La m’ont fascinée. Ils ont une organisation complètement différente de la nôtre, les sections ne sont pas les mêmes, il faut parfois 10 ans pour évoluer d’un poste à un autre chez eux quand chez nous les gens trépignent au bout de 6 mois.  On se nourrit de nos voyages et c’est aussi ce qui fait que notre cuisine évolue. 
 
Par exemple ici en Asie, il y a une culture du produit qui est magnifique. On a parfois en France une image complètement erronée, parfois mauvaise, de la gastronomie Chinoise. En tant que Chef c’est très intéressant de découvrir cela. 
 

Refaire de la tv aujourd’hui ?
Je ne suis pas fermée à l’idée. Je ne referais pas une compétition. J’ai passé l’envie de me comparer à d’autres chefs. Mais pourquoi pas en tant que juré. Un format où on présente des produits, où on va à la rencontre d’autres chefs me plairait bien aussi. Je me vois aujourd’hui plus dans un format d’échange que dans un format de démonstration. 














 

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