Conversation avec: Uwe Opocensky, Chef Exécutif de Petrus à l’Island Shangri-La Hong Kong

Nous nous sommes attablées avec le Chef Uwe Opocensky au restaurant Petrus pour discuter philosophie culinaire, étoiles Michelin et bien plus encore

24 Septembre 2025


Interview réalisée par Aude Camus

Alors que Caprice et Amber — deux institutions triplement étoilées de Hong Kong — fêtent leurs 20 ans cette année (2025), un autre grand nom de la scène gastronomique locale continue d’écrire son histoire : Petrus. Depuis son ouverture en 1991, ce restaurant est célébré comme l’une des plus belles salles à manger de la ville, offrant une vue panoramique sur le Victoria Harbour, une cave à vins mythique (avec des millésimes de Château Pétrus remontant à près d’un siècle), une cuisine française raffinée et un décor inspiré des salons parisiens.
 

Mais même les adresses les plus emblématiques ont besoin d’un petit coup de fraîcheur de temps en temps. C’est là qu’intervient le Chef Uwe Opocensky. Nommé Chef Exécutif de l’Island Shangri-La Hong Kong en 2019, il jongle avec brio entre respect du patrimoine de Petrus et désir de réinvention. Alors que l’équipe s’apprête à franchir une nouvelle étape avec une rénovation très attendue, je me suis installée avec Uwe pour parler de son parcours, de sa philosophie culinaire et de l’avenir de l’une des adresses les plus iconiques de Hong Kong.
 
 
 
Vous avez été formé en Europe et y avez commencé votre carrière. Ces premières années vous ont-elles façonné et, si oui, de quelle façon ?
 


Bien sûr, chaque étape façonne un chef. J’ai fait mon apprentissage en Allemagne, puis des concours m’ont mené jusqu’au club privé d’Anton Mosimann à Londres, où j’ai travaillé neuf ans. C’était une période incroyable — à 22 ans, j’étais déjà chef, responsable du catering externe et j’ai cuisiné dans des lieux comme la Maison Blanche ou Downing Street. J’ai eu très tôt des expériences uniques.
 
En même temps, je suis toujours resté curieux — j’ai passé quelques mois chez Alain Ducasse, puis au légendaire restaurantEl Bulli en Espagne (fermé en 2011, le restaurant trois étoiles de Ferran Adrià a été élu n°1 du tout premier classement des World’s 50 Best Restaurants en 2002). 
 
J’ai toujours considéré chaque étape non pas comme une nouvelle ligne sur mon CV, mais plutôt comme une opportunité d’apprendre, de découvrir d’autres approches de la gastronomie. Tout cela nourrit ma cuisine aujourd’hui.
 
 
 
Qu’est-ce qui vous a amené à Hong Kong en 2004 ?
 
J’ai toujours voulu venir en Asie. On parlait beaucoup de l’hospitalité en Thaïlande, au Japon, à Hong Kong… J’ai postulé dans plusieurs pays, mais on me répondait souvent : “trop expérimenté, mais sans expérience asiatique.” Puis, juste avant de commencer un poste à Moscou, j’ai reçu un appel pour une opportunité de chef exécutif dans un club privé à Hong Kong. Je n’y avais jamais mis les pieds, mais j’ai dit pourquoi pas. Je suis venu, j’ai eu le poste — et 21 ans plus tard, je suis toujours là ! Comme beaucoup, je pensais rester quelques années. Mais Hong Kong a ce pouvoir de retenir les gens.
 
 
 
Vous avez dirigé certaines des cuisines les plus emblématiques de la ville — le Mandarin Oriental, votre propre restaurant, et désormais l’Island Shangri-La. Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre Petrus ?
 
Après le Mandarin, j’ai ouvert mon propre restaurant à Hollywood Road et travaillé sur le développement d’une enseigne de burgers. C’était amusant, différent. J’avais envie de tenter l’expérience d’avoir ma propre adresse, et ça a très bien marché au début — jusqu’aux manifestations de 2019. En parallèle, je me suis rendu compte que l’univers des hôtels me manquait : la diversité, l’ampleur — du room service aux banquets en passant par la haute gastronomie.
 
J’ai passé des entretiens dans plusieurs hôtels, mais quand Shangri-La m’a appelé, j’ai senti que c’était le bon choix. J’ai toujours eu une bonne relation avec eux, et je suis arrivé au moment idéal, juste au début de la grande transformation du groupe.
 
 
 
Petrus a rapidement retrouvé son étoile Michelin après votre arrivée. Vous vous y attendiez ?
 
Honnêtement, non. C’était une belle surprise. Quand j’ai ouvert mon propre restaurant, j’étais déjà en bonne voie pour obtenir une étoile. Donc en arrivant chez Petrus, j’ai dit aux équipes Michelin : “je change d’adresse, mais mon équipe et mon ADN me suivent.” Ils sont venus, ont goûté… et peu de temps après, nous avions l’étoile. Bien sûr, on ne la prend jamais pour acquise, mais c’était une reconnaissance formidable, et très rapide.
 
 
 
Vous décrivez souvent votre style comme de la “gastronomie progressive”. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Artichoke: Lavender / Chocolate / Ice Cream
C’est une question d’évolution. La gastronomie porte en elle tradition et héritage — surtout dans une maison classique comme Petrus. Mais “progressive” signifie ne jamais rester figé ; avancer, moderniser, alléger. Il ne s’agit pas de courir après les tendances, mais de trouver l’équilibre entre respect des classiques et modernité dans les saveurs et la présentation. C’est un peu comme Dior : intemporel, mais toujours en réinvention. C’est cette approche que je veux insuffler à Petrus.
 
 
 
Vous parlez aussi de créer une “bulle” pour vos convives. Qu’entendez-vous par là ?

Ham & Cheese (Dessert)
Hong Kong est une ville intense — notifications, stress permanent. Quand vous venez à Petrus, je veux que vous soyez ailleurs, ne serait-ce que deux heures. Cette bulle, c’est le fait d’être présent — profiter des plats, des accords mets-vins ou mets-thés, de la personne avec qui vous êtes, des histoires derrière chaque assiette. Ce n’est pas de la simple livraison de nourriture ; c’est de l’hospitalité. Pour moi, c’est vous inviter dans ma salle à manger, vous accueillir, et vous offrir une petite oasis au cœur de la ville.
 
 
 
La durabilité est aussi au cœur de votre approche. Comment cela se traduit-il chez Petrus ?
 
La durabilité peut avoir plusieurs sens. Pour moi, c’est soutenir les artisans : des pêcheurs avec leurs petits bateaux, des fermiers qui cultivent des légumes anciens, des producteurs de champignons locaux, des apiculteurs. Nous travaillons avec Common Farms à Hong Kong (une ferme urbaine qui produit en intérieur), et je suis passionné par les produits du Yunnan, qui ont, selon moi, un énorme potentiel. L’idée n’est pas d’être dogmatique, mais de préserver les savoir-faire, les traditions, et de faire des choix responsables autant que possible.
 
 
 
Petrus est reconnu pour sa carte des vins, mais vous proposez aussi des alternatives.
 
Le vin reste central — nous avons une cave incroyable. Mais nous développons aussi beaucoup les thés, les infusions et des accords sans alcool, plus naturels. Ce n’est pas pour suivre une mode, mais pour offrir un équilibre. Certains invités veulent l’expérience classique avec le vin, d’autres préfèrent un parcours autour du thé — les deux doivent être pensés avec le même soin.
 
 
 
Après deux décennies à Hong Kong, où aimez-vous manger quand vous n’êtes pas chez Petrus ?
 
J’adore Tim Ho Wan. J’aime aussi les adresses simples, comme Kau Kee sur Gough Street pour ses nouilles au bœuf. Et puis ma fille me pousse à rester curieux — elle repère des adresses sur TikTok et veut toujours les tester avec moi. Comme nous habitons à Pok Fu Lam, Kennedy Town est un peu notre QG : cafés, pastas du dimanche chez Pici
 
Côté haute gastronomie, j’admire des chefs comme Antimo Maria Merone chez Estro — ses pâtes, son style. Wing est une autre adresse que j’adore ; je trouve que Vicky Cheng a vraiment su ouvrir la cuisine chinoise à une clientèle internationale. Et parfois, franchement, j’ai juste envie d’un bol de pâtes et d’un verre de vin au bar chez Umberto Bombana (8 1/2 Otto e Mezzo Bombana).
 
 
 
Et pour la suite, que réservez-vous à Petrus ?

Lobster Brittany / Beetroot / Elderflower
Le grand chantier, c’est la rénovation. Petrus est chargé d’héritage, mais il est temps de lui offrir un nouveau souffle — un peu comme une maison de couture qui conserve son ADN tout en se réinventant. Le nom et l’esprit resteront, mais la salle à manger sera plus contemporaine, plus détendue, tout en restant résolument fine dining. Mon souhait, c’est que Petrus ne soit plus seulement l’endroit où l’on fête un anniversaire une fois par an, mais une adresse où l’on revient chaque mois — raffinée, mais aussi fun, conviviale, jamais guindée. La haute gastronomie a changé, et Petrus évoluera avec elle.
 
 
Et ces photos de plats que tout le monde prend aujourd’hui, ça vous dérange ?
 
Pas du tout ! Si ça vous rend heureux, prenez des photos. Pour moi, c’est même un signe que ce que vous voyez vous plaît. Je ne juge jamais la façon dont mes invités profitent de leur expérience — que ce soit avec de la moutarde sur un steak ou dix clichés de chaque assiette. L’hospitalité, c’est offrir un bon moment. Si vous repartez heureux, c’est tout ce qui compte.


 





 

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